L’HISTOIRE SOUVENT IGNOREE DE LA CREATION DU JARDIN DUMAINE
Tous les Luçonnais savent que leur jardin public et la mairie proviennent du legs de Pierre Hyacinthe Dumaine. Mais peu connaissent les détails des circonstances et des conditions dans lesquelles ils ont été acceptés et mis en œuvre. C’est ce que nous apprend la consultation des délibérations municipales.
Première partie : le legs Dumaine1.
1- Lorsque Pierre Hyacinthe Dumaine décède à Nice le 25 février 1872, il laisse un testament très détaillé dont voici la teneur concernant la ville de Luçon.
TESTAMENT DUMAINE (recopié d’après le registre des délibérations en respectant l’orthographe du document).
Ceci est mon testament écrit de ma main
Ayant le plus grand désir de voir la Ville de Luçon, (Vendée) ou (sic) je suis né, prendre de l’importance et contribuer à son embelissement (sic) et à son agrément.
Je donne après mon décès aux habitants de la ville ;
1°, La vaste propriété que j’habite rue des Capucins, comprenant ma maison, celle habitée par M. Gaillard, y tenant servitudes dépendances, jardin grand et petit bois, prairie, clos d’une contenance totale d’environ quatre hectares et demie, tel que le tout se limite par les murs de mon Clos.
2° Mes deux maisons, situées au midi de la précédente, sur la route des Sables et occupées l’une par
M. Girard, greffier, l’autre par M. Vinçonneau sabotier.
3° Je donne en plus au ténement des Commées, rue du moulin Garnier, un terrain clos de murs, avec les tombeaux Chapelle mortuaire, maison de gardien, servitudes diverses que j’y dois construire et en outre tous les terrains qui entourent ce clos au nord-ouest, au nord, levant et couchant le tout pouvant contenir un hectare quinze ares.
A la condition expresse que la totalité de tous ces terrains appartiennent éternellement à la ville pour n’être jamais vendus, tout aussi bien que le Clos de la Chapelle et des tombeaux, dans le but que ces terrains de production puissent donner revenu à la Ville par le fermage de la maison et des dépendances qui y sont comprises ; le Clos de la Chapelle devant être intégralement conservé à la piété, tout en ne perdant pas de vue l’objet principal de la conservation minutieuse des monuments par le zèle du gardien ;
La ferme de la maison et des terrains servira à l’entretien des monuments des servitudes et des murs de la propriété par les soins de la Ville.
Ce legs est fait aux conditions suivantes, que je charge le Conseil Municipal d’exécuter ponctuellement, sous peine de nullité de ce legs.
L’administration municipale résidera dans ma maison de la rue des Capucins qui deviendra l’Hôtel de Ville de Luçon, et qui s’emparera de suite après mon décès de la totalité de la propriété pour qu’elle soit en bonne surveillance.
A la condition aussi bien comprise que l’administration municipale fasse raser le plus promptement possible les bâtiments et servitudes de la mairie actuelle. De cette manière la façade du clocher de la Cathédrale, sera mise tout à fait en belle perspective.
Et lorsque MM. Vrignaud et Jarlot ou leurs représentants auront fait bâtir de belles maisons avec façade en plein midi la grande place offrira de ce côté un aspect régulier et des plus agréable au public.
Toute la propriété de la Rue des Capucins, hormis les bâtiments servitudes et terrains réservés pour l’Hôtel de Ville par l’administration, deviendra un jardin public gratuitement ouverte (sic) à la promenade des habitants, le dimanche et jours de grandes fêtes sous la surveillance et conformément aux règlements de l’administration Municipale.
Comme j’ai le plus grand désir que l’instruction se répande dans toutes les classes et surtout dans celle des ouvriers de tout état dans l’intérêt du travail et de leur aisance, je veux que la Ville emploie aussitôt mon décès une somme de cinq mille francs à fonder une bibliothèque publique, surtout à l’usage des ouvriers, et deux ans après une autre somme de cinq mille francs pour compléter plus en grand cette bibliothèque ; le choix des ouvrages sera fait à Paris par un homme habitué à la composition des bibliothèques publiques de ce genre.
Comme je veux faire construire dans le champ clos de murs (légué à la Ville article 3) mon tombeau et celui de de mon père et de ma mère ; les pierres en granit de mon tombeau y étant déjà rendues, et que je veux en faire venir deux semblables pour le tombeau de mon père qui sera placé à l’est en face du mien, celui de ma mère sera placé en triangle éloigné d’en face de la porte de la Chapelle, afin de ne pas gêner le coup d’œil du portail d’entrée, ce tombeau serait de forme mince et élevée , ou de forme plate et peu élevée.
Je veux aussi faire élever une chapelle à la mémoire des morts, toute bâtie en granit de meilleure qualité, et diverses autres constructions, tel (sic) que maison de gardien de style byzantin, comme sera tout particulièrement la Chapelle d’après plans et devis déposés chez Me Deshayes, notaire. Cette maison sera en granit comme la Chapelle, et les murs de ce clos seront entièrement recouverts de chapeaux en granit façonnés pour la conservation des murs.
Si tous ces travaux sont exécutés avant mon décès, ils appartiendront de suite à la Ville ; si la mort me surprend avant de les avoir commencés ou avant leur achèvement je veux que l’administration municipale en fasse continuer l’exécution des travaux par M. Henri Hybert, fils, entrepreneur et surveillé de ma part par Monsieur Collonnier propriétaire, mon remplaçant et inspecté par un inspecteur des travaux publics, reconnu par son habileté et nommé par l’administration municipale.
Ces travaux seront exécutés d’après le plan dont j’ai déjà parlé.
Dans ce dernier cas seulement pour faire faire ce qui n’a pas été commencé ou pour achever les travaux je donne à la Ville :
1°Une somme de trente quatre mille cent francs dont les titres sont dans les mains de M Chauveau, chargé par moi de les verser au fur et à mesure des échéances convenues pour constructions par un sousseing (sic) privé passé entre M. Hybert et moi.
2° Plus pour la continuation des travaux l’argent provenant de la vente de mon mobilier, surveillé par M. Collonnier, garnissant ma maison à Luçon et de trois prés, situés au Port dont deux sont affermés à Melle de la Serie et le troisième à M. Salès ; ces trois prés sont d’une contenance environ de trois hectares soixante six ares.
L’administration municipale fera remettre positivement tous les ans à M le curé de la Ville, le 2 juin, anniversaire de ma naissance, la somme de cinq cents francs qui seront distribués par lui aux pauvres particulièrement de Luçon, qui assisteront à la messe qu’il voudra bien dire ce jour là à la Chapelle sus-dite pour l’heureux repos de cette famille.
A cette occasion et toutes les fois qu’il le jugera convenable M le curé ou tout autre prêtre éloquent, voudra bien, avec l’autorisation ecclésiastique, prêcher le public à cette Chapelle dans des vues de respectueux souvenirs pour les morts, cérémonie trop négligée de notre époque aux dépens d’une bonne morale religieuse.
Sur chaque tombeau, il ne sera pas écrit autre chose que sur le tombeau de M Dumaine père .
Dumaine père 1825
Dumaine mère 1842
Dumaine fils 1872 ou
Pour faire face aux diverses charges de mon testament la Ville pourra vendre en partie le terrain boisé entouré de murs qui donne au nord par l’allée St François, dont je parle au n° 3, mais en vendant la Ville fera une réserve de vingt mètres au delà du mur de séparation qu’elle fera rebâtir pour agrandir convenablement son terrain réservé, cette vente pourrait se faire en quatre lots pour bâtir quatre maisons sur l’allée St François ayant chacune son petit bois récréatif.
Les droits de mutation seront acquittés sur le pré affermé à M. Beaussire, sur le chemin de Triaize d’une contenance d’environ deux hectares soixante -six centiares, revenant à mes héritiers, la Ville ne devant rien contribuer à ces droits de mutation.
Ces dispositions toutes intéressées pour la Ville et les habitants indiquent l’obligation à M le Maire de se prêter obligeamment, lors de mon décès, à faire la démarche de me faire mettre dans la tombe indiquée pour cette fatale circonstance ; ce service affectueux sera pour moi d’une éternelle reconnaissance au fond de mon manoir.
L’administration municipale de la Ville , ayant rempli toutes les formalités d’acceptation pour mes donations fera mettre ces monuments sur la sauvegarde de l’Etat, comme tous les monuments remarquables le sont en France sous le point de vue religieux et des arts.
Je veux qu’une copie de mes dispositions testamentaires en faveur de la Ville seulement demeure toujours affichée dans la salle des séances du Conseil Municipal, afin que les habitants puissent bien connaître et s’en prévaloir et pour que mon exemple soit suivi par d’autres bons propriétaires.
En cas de mort à Nice ou tout autre lieu en voyage, j’engage Mademoiselle Mélanie Heymann ou la personne qui lui succédera ou l’autorité du lieu à me faire embaumer convenablement et à me faire mettre dans un cercueil en plomb pour m’adresser de là à Luçon (Vendée) chez moi, pour que M. Chauveau, juge de paix, ou l’autorité de la ville ait l’obligeance de me faire placer dans mon tombeau par les soins de M. Hybert fils, constructeur de mes travaux auquel je donne pour ses peines et soins la somme de cinq cents francs à me faire bien caser dans ce lieu de toute éternité ayant mon bon ange gardien peint au dessus de moi pour entretenir mon âme de son doux et pieux langage.
Je donne le surplus de mes biens quels qu’ils soient et d’une manière spéciale à……………………………………………………………………………………………………………………………………………………….
Je nomme pour mon exécuteur testamentaire, avec saisine, M. Benjamin Chauveau, juge de paix…………………………………………
Quoique ne donnant pas un plan bysantin pour la maison du gardien toute bâtie en granit je n’en tiens pas moins l’administration municipale obligée de la faire bâtir comme les servitudes.
Fait à Luçon le 22 août 1871
Signé : Dumaine
2- Informé de ce legs et avec l’autorisation du sous-préfet de Fontenay, le maire, M. Gaudineau convoque le 10 mars 1872, le Conseil Municipal en séance extraordinaire. Cette réunion a pour principal objet la lecture officielle du testament Dumaine et les dispositions à prendre à l’égard de ce legs. Faut-il ou non l’accepter ?
Au premier abord, ce legs est très intéressant pour la Ville : une bibliothèque pour l’instruction des ouvriers notamment, un jardin public (que Luçon ne peut se payer) permettra d’agréables promenades nécessaires à la santé des habitants et la mairie actuelle, en piteux état, impose, pour sa réfection, des frais considérables. Mais, les charges induites par les travaux voulus par M. Dumaine ne risquent-elles pas d’être supérieures aux avantages ? Cela demande réflexion !..
Avant d’accepter ou de refuser le legs, avec ses clauses et conditions, il faut donc faire estimer les biens laissés par Pierre Hyacinthe Dumaine. On choisit en conséquence M. Loizelet pour expertiser les terres. Il lui est adjoint une commission composée de MM. Poeydavant, Deshayes et Legé, tous les quatre conseillers municipaux. M. Ballereau, architecte de la Ville, travaillera seul à estimer et à approprier les bâtiments.
Pour compléter cet inventaire de l’actif et du passif de la succession, la Ville ne doit pas oublier qu’elle devra verser chaque année 500 fr à M le curé de Luçon pour les pauvres de la paroisse et 10000 fr pour la création d’une bibliothèque publique.
Lorsque les divers documents auront été réunis, ils seront soumis au Conseil qui les contrôlera et pourra ainsi se prononcer, en connaissance de cause, sur le legs de M Dumaine.
3- A la séance extraordinaire du 5 avril 1872, M le Maire expose que, par suite d’indisposition, M. Ballereau n’a pu procéder encore au travail d’estimation et d’appropriation des immeubles Dumaine. Mais cette étude sera faite d’ici la session du mois suivant.
Le 20 avril 1872, se tient donc une nouvelle séance extraordinaire. Le Maire informe le Conseil que les scellés ayant été levés dans la maison Dumaine, l’inventaire du mobilier a pu être effectué. Sa valeur s’élève à 11000 fr minimum. Ce qui se révèle être une bonne surprise, car plus que ce qui était prévu. Décision est prise de vendre prochainement le mobilier, pour éviter tout risque de détérioration. On ne saurait être trop prudent …
Le mois suivant à la séance ordinaire du 19 mai 1872 (terminée le 29), Mr Gaudineau donne connaissance du rapport de M. Ballereau, architecte, concernant les frais de démolition de la mairie et les dépenses qu’entraînera l’installation des services publics dans la maison Dumaine. Puis il présente le procès verbal de la Commission chargée d’établir la valeur des terres et maisons formant le legs fait à la Ville.
Enfin, la maladie bien regrettable de M Ballereau l’empêche de soumettre à M le Maire le tableau récapitulatif des avantages et des charges résultant du legs. Celui-ci a en conséquence dressé lui-même un tableau approximatif. Le résultat de cet inventaire est clairement avantageux. Le Conseil se base donc dessus pour accepter provisoirement la donation.
Lors de la session ordinaire du 4 août 1872, le Conseil apprend avec plaisir que toutes les formalités ont été remplies et que la question Dumaine touche à sa fin.
C’est ce qui sera fait le mois suivant. Le 19 septembre, M. Gaudineau commence par informer le Conseil que les légataires universels de P. H. Dumaine ont consenti par acte passé devant Maître Deshayes, notaire à Luçon, à la délivrance du legs fait au profit de la ville. Puis le maire passe à la seconde bonne nouvelle : la valeur des biens légués. Les immeubles sont estimés à 132 210 fr et le mobilier à 10918,85 fr soit un actif de 149 123 ,85 fr. En regard, les dépenses (la transformation de la maison en Hôtel de Ville, le prétoire de justice de Paix, la maison du gardien de la Chapelle, la démolition de l’actuelle mairie) s’élèvent à 86 749,12 fr. Auxquelles s’ajoutent les 10 000 fr pour la création de la bibliothèque et 10 000 fr donnés à M le Curé pour les pauvres, à raison de 500 fr par an. Soit un passif de 106 749, 12 fr. La balance d’un montant de 42 379, 73 fr se faisant en faveur de l’actif, le Conseil vote donc à l’unanimité que la ville soit autorisée à accepter le legs. (Pour comparaison : salaire du jardinier 800 fr par an)
La séance du 19 novembre clôt la succession. M. Gaudineau, ayant reçu l’autorisation de M. le Préfet d’accepter le legs, annonce au Conseil qu’il a signé cet acte d’acceptation et qu’en conséquence il va faire afficher pour le 1er décembre prochain la vente du mobilier et des prés destinés à la commune. Enfin, il a fait assurer la maison Dumaine avec ses dépendances et son mobilier au nom et pour le compte de la ville.
La transformation du centre ville peut commencer.
(à suivre)
- Le testament Dumaine peut être vu par tous les Luçonnais comme M.Dumaine le demandait. Il est exposé dans la salle des délibérations de la Mairie (ancienne maison d’habitation de M. Dumaine). ↩︎