Le 6 janvier, M. Dorian Varenne a présenté, devant un public très nombreux, son sujet de conférence : Richelieu et le Saint-Siège : regards croisés sur la politique du cardinal ministre.
Luçonnais, cet historien moderniste s’est intéressé très tôt d’une part à Richelieu et d’autre part à Rome . C’est tout naturellement qu’il a ainsi uni ses deux passions dans ses mémoires de master en 2014 et 2015, et actuellement dans sa préparation de thèse.
M. Varenne a notamment approfondi la place et le rôle que Richelieu a donnés au pape Urbain VIII , les réactions du pape face à la politique française, les objectifs communs et les désaccords entre les deux hommes en politique intérieure et extérieure.

Le ministériat de Richelieu (1624- 1642) se déroule en même temps que le pontificat d’Urbain VIII (1623- 1644). Tous deux sont profondément chrétiens et attachés à la réforme catholique de l’Église tridentine. Mais pour Richelieu, si la raison d’État et l’intérêt de la religion sont intimement liés (le politique doit se fonder sur le religieux et le religieux sur le politique), l’équilibre entre les deux est délicat à réaliser et Richelieu, serviteur de l’Église, le sera moins du pape.
1-Politique intérieure
a – Réduction de la puissance protestante.
Une paix précaire règne en France depuis la signature de l’Édit de Nantes, en1598, entre catholiques et protestants. Dans les années 1620, les Huguenots détiennent une puissance militaire et politique qui pourrait menacer le roi. Richelieu veut donc briser toute autorité de leur part. Il assiège alors avec succès leurs places-fortes (Languedoc, La Rochelle). La paix d’Alès (1629) permet aux Huguenots de conserver leur culte mais le parti politique protestant est ruiné. Urbain VIII se félicite du triomphe de Richelieu, qui renforce le catholicisme, même s’il est déçu car il aurait voulu la disparition totale du protestantisme. Mais Richelieu a préféré la tolérance pour maintenir la paix. Comme il a besoin d’argent, le pape lui accorde le doublement du décime.
b- Gallicanisme et ultramontanisme : la position ambiguë de Richelieu.
Le pouvoir temporel est le gouvernement des hommes, le pouvoir spirituel est le gouvernement des âmes. Le pouvoir spirituel du pape est-il supérieur au pouvoir temporel du roi ?
Deux visions s’affrontent : la position gallicane très ancienne cherche à combattre le pouvoir papal : le clergé de France jouit d’une grande autonomie dans la gestion de ses affaires et le roi est la seule autorité en France . Pour les ultramontains, au contraire, le pape est supérieur au roi et a le droit de s’ingérer dans les affaires de l’Etat, surtout si le roi est mauvais catholique.
L’ouvrage d’un jésuite, Antonio Santarelli, « Traité sur les hérésies, les schismes.., » en 1625 met le feu aux poudres. Le livre est accusé de voulor réduire l’autorité du roi sur ses sujets et est condamné par le Parlement (qui espère se débarrasser des jésuites, proches du pape) et par la Sorbonne. Le pape craint par ailleurs, que l’église de France ne se sépare de Rome. Richelieu contraint les jésuites à condamner le livre sans affirmer cependant que le pape n’a pas de pouvoir en France. Il défend une voie médiane : si le roi a l’autorité suprême dans son Royaume, le Saint-Siège a l’autorité en ce qui concerne le dogme et les questions de foi. Et l’Église de France reste attachée à Rome (il n’y a pas de risque de schisme).
2- Politique extérieure
En politique extérieure, la cause monarchique passe t-elle avant l’intérêt catholique ?
La guerre de 30 ans (1618 – 1648 )
La maison de Habsbourg s’est imposée depuis le Moyen-âge sur une grande partie de l’Europe : la branche aînée règne en Espagne, aux Pays-Bas espagnols, dans les royaumes du Sud de l’Italie, en Amérique. La branche cadette domine la Bohème, l’Autriche, etc.. . et est à la tête du Saint-Empire romain germanique. La France est encerclée par les Habsbourg qui représentent une menace constante. Toute la politique étrangère de Richelieu se tourne donc contre eux. En cela, il « trahit » le parti dévot de la reine-mère Marie de Médicis qui avait manoeuvré pour le rapprochement de l’Espagne et de la France et à qui il doit sa carrière.
Les choix de Richelieu sont problématiques pour la papauté.
Premièrement, les affrontements sont limités à l’Italie : la Valteline est un passage entre les Habsbourg espagnols et autrichiens, tenu par les troupes pontificales . Richelieu envoie des troupes pour les chasser et prendre leur place. Urbain VIII, qui jouait plutôt la diplomatie, est furieux. Autre problème : la guerre de succession de Mantoue (1628 –1631). Grâce au traité de Cherasco par l’entremise du pape, le prétendant français Charles de Gonzague, duc de Nevers, l’emporte et Richelieu réussit à endiguer la puissance des Habsbourg en Italie.
Deuxièmement, la France (État catholique) s’allie à des États protestants (Suède1631. Provinces unies des Pays-Bas 1635) pour combattre l’Espagne, un Éat catholique. Le pape ne réagit pas à ce dilemme et semble partager le choix politique de Richelieu.
3- Les relations entre Paris et Rome : rapprochements et frictions
Les XVe et XVIe siècle voient la naissance de la diplomatie moderne, avec de nombreux intermédiaires : ambassadeurs ordinaires et extraordinaires , envoyés diplomatiques, nonces apostoliques, légats, secrétaires d’ État des Affaires Étrangères etc…
Sous Louis XIII, Richelieu voit l’intérêt de s’attacher le cardinal Antonio Barberini, neveu du pape. Il est fait comprotecteur de France en 1633 et protecteur de France en 1637. Le pape se sent atteint dans son principe de neutralité et désapprouve vivement cette alliance . Les incidents et crises diplomatiques vont se succéder jusqu’en1639 où l’on assiste à une quasi rupture diplomatique. Si Urbain VIII cherche à tout prix à protéger sa neutralité pour gérer les conflits en Europe, Richelieu défend la cause du roi : « si quelqu’un se pouvait plaindre de cette neutralité du pape, c’était le roi, car il avait pris en main une cause juste, recommandée par Sa Sainteté même ». La reprise des liens se fera en 1640 1641.
Le contenu très riche de cette conférence a passionné l’auditoire, tant le personnage de Richelieu est inépuisable. Après que M. Varenne eut répondu aux questions posées, la soirée s’est clôturée par le traditionnel verre de l’amitié.